Nommée « Designer of the year » par Maison&Objet ce mois de septembre, l’architecte parisienne Laura Gonzalez s’est forgée une solide réputation dans le monde de la décoration. Enchaînant les rénovations de bars, de restaurants ou encore d’hôtels, tout en s’introduisant dans l’univers du luxe, la jeune femme de 35 ans, ultra talentueuse et créative, impose sa différence avec son style éclectique, singulier, décalé, mélangeant les matériaux, les tissus, les motifs. Avec la joie, la bonne humeur et le dynamisme qui la caractérisent, Laura Gonzalez se pose quelques instants pour nous parler de son parcours, de ses projets, de ses aspirations. Rencontre.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous étiez désignée « Designer of the year » par Maison&Objet en septembre 2019 ?
Laura Gonzalez : C’est un honneur. Une satisfaction personnelle d’être reconnue pour son travail et son style !
Quel est votre parcours ? Avez-vous toujours eu envie de devenir architecte d’intérieur ?
Laura Gonzalez : Non ! Je suis architecte DPLG, mais j’ai choisi cette carrière un peu par hasard. Je n’étais pas du tout dans une famille d’architectes. Quand j’ai eu mon bac, je n’avais pas cette idée. J’étais plutôt destinée à une profession complètement autre. J’ai commencé la fac et, dès le premier jour, j’ai eu une révélation… J’ai su que ce métier d’architecte était pour moi.
Vous avez ouvert votre agence Pravda Arkitect à 24 ans. Racontez-nous vos débuts.
Laura Gonzalez : J’étais encore à l’école, en cinquième année, et un ami m’a demandé de l’aider pour réaliser une boutique à Paris. J’ai fait les plans, j’ai commencé à acheter les tissus, le papier peint, etc. Puis j’ai conçu toute la boutique, et cela a été un succès. J’ai pensé un appartement, puis un second… et je me suis sentie à l’aide dans ces projets à une échelle différente. Alors j’ai monté mon agence, aujourd’hui installée dans le XVIe arrondissement de Paris, au calme. Nous sommes 25 collaborateurs au total.
L’un des premiers projets qui vous a distinguée était la rénovation du Bus Palladium. Vous étiez jeune… Comment avez-vous décroché ce chantier ?
Laura Gonzalez : Grâce à un client. Il était associé avec Benjamin Patou et m’a demandé si ce chantier m’intéressait. C’était juste avant Noël, et l’établissement devait ouvrir quelques mois après. J’ai travaillé jours et nuits, et leur ai proposé un projet quatre jours plus tard ! Ils m’ont dit « banco » ! C’était mon premier gros chantier, je n’étais pas sereine… Nous étions deux seulement à l’agence à ce moment-là. C’était rock’n’roll mais amusant !
Restaurants et bars Alcazar, Noto, Manko, 86Champs, La Lorraine, La Gare, Lapérouse, hôtel Relais Christine, etc. Vous multipliez les projets, et vous concevez même des boutiques de luxe pour Cartier notamment… Pourquoi les marques de luxe font-elles appel à vous ?
Laura Gonzalez : Quand Cartier m’a appelée, j’ai été un peu étonnée. Mais aujourd’hui, le luxe et l’hospitalité se mêlent. L’époque où tout était « charté », où l’on devait faire les mêmes boutiques partout dans le monde, est révolue. Les marques souhaitent penser différemment chaque boutique, selon son lieu, sa ville, sa rue, et ainsi proposer une expérience différente à leurs clients, une expérience qui finalement vient de l’hospitalité. C’est pour cela, je pense, que j’ai introduit les boutiques de luxe. Cela fait trois ans que nous travaillons avec Cartier. Je viens de réaliser Madrid, la boutique de la place Vendôme. Nous allons ouvrir Shanghai, New York, Moscou, etc.
Quelles réalisations récentes étaient les plus inspirantes ?
Laura Gonzalez : Chacune possède son propre univers, et je conçois vraiment, à chaque fois, un projet unique. Évidemment le restaurant La Gare à Paris dans le XVIe arrondissement, livré il y a quelques mois, était très inspirant, car il s’agissait d’un voyage complet. Un voyage en Méditerranée avec des influences, italiennes, espagnoles, portugaises, marocaines, etc. Le volume est impressionnant, et le projet montre une multitude de couleurs et de motifs.
Pour le restaurant Lapérouse, dans le VIe, notre idée était de retranscrire l’ADN du lieu, un lieu très classique et en même temps décalé et un peu décadent. L’endroit était sublime. Nous l’avons dépoussiéré sans le rendre neuf, car cela n’était pas l’objectif. Nous avons refait entièrement certaines zones, le bar, le deuxième étage, les salons. La réussite de ce projet réside dans le fait que nous avons conservé son ADN.
Comment construisez-vous vos projets ?
Laura Gonzalez : Dès le départ, nous effectuons énormément de recherches. Partout, dans tous les supports, dans les livres, dans la presse… Notre première présentation au client est assez lourde, car elle exprime tous nos rêves jusqu’aux tissus. Nous réalisons des recherches conceptuelles très denses, ce qui nous permet de ne jamais nous répéter. Un projet a besoin d’un concept. Puis, on choisit nos matières, mais on ne part jamais de la matière. Il y a forcément des tissus, car cela caractérise mon travail, du marbre, des fresques aussi… mais je ne travaille jamais la même chose.
D’où provient cet amour que vous portez aux tissus, aux motifs ?
Laura Gonzalez : Cela remonte à mon enfance, je pense. Quand j’étais petite, ma maison était remplie de tissus Pierre Frey. J’avais une chambre avec des fleurs partout que je détestais bien sûr quand j’étais petite ! [rires] Chaque pièce avait des imprimés différents, et cela m’a certainement marquée. Par ailleurs, mes parents ont toujours chiné ; ils allaient dans les salles des ventes et je les suivais partout. Ma passion pour la chine, pour l’objet, pour le tissu, la matière, vient probablement de tout cela.
Vous êtes adepte du « mix and match ». Comment parvenez-vous à définir le juste équilibre entre tous les éléments que vous associez ?
Laura Gonzalez : Comment expliquer ce juste équilibre… Je ne sais pas… Cela repose sur mon intuition, et c’est mon problème de déléguer cela justement ! Aussi, je participe forcément à la création de tous nos projets. Selon où l’on place le curseur, on est de bon ou de mauvais goût, vieillot ou moderne… C’est compliqué de savoir où placer ce curseur, mais c’est ce qui fait mon style.
Sur quels sujets planchez-vous actuellement ?
Laura Gonzalez : Sur pas mal d’hôtels cinq étoiles. Un à Paris, un autre à Rome et un en Afrique du Sud. C’est génial, car nous abordons plein de cultures différentes. À Rome, il s’agit d’un boutique-hôtel de 45 chambres avec un restaurant dans une ancienne gendarmerie, qui ouvrira dans deux ans environ. Nous n’allons pas faire un projet romain. Cela serait absurde, car nous sommes français. Nous avons plutôt pensé l’hôtel comme une maison pour des personnes qui tombent amoureuses de Rome. À Paris, il s’agit de la rénovation de l’hôtel Saint James, qui ne sera pas terminé avant deux ou trois ans. En Afrique du Sud, nous sommes tout au début du projet également.
Par ailleurs, nous avons acheté une maison de maître à Mainneville dans le Vexin, qui sera notre showroom pour ma collection de mobilier. Nous y convierons nos clients, les journalistes, les artisans, etc. C’est un lieu un peu hybride.
En quoi consiste plus précisément ce projet ?
Laura Gonzalez : L’idée était de d’exposer mon mobilier dans un intérieur reflétant mon univers avec ma déco. Nous avons toujours dessiné des meubles pour nos projets, et nous avons eu envie de créer une collection avec des pièces parfois associées à nos réalisations et des nouvelles. Une partie de la collection montrera des meubles davantage réalisés en série mais personnalisables ; l’autre sera une collection d’artisanat d’art. Chaque pièce sera développée à quatre mains avec un artisan d’art. Nous présenterons une trentaine de pièces au total pour l’instant. Mais nous ne nous imposons rien. Nous en sortirons d’autres quand nous le souhaiterons ! J’appelle cela ma récréation ! C’est un moment de création pure qui sort complètement des projets. Les meubles sont très éclectiques, et c’est ce qui nous correspond aussi. On les mélangera aussi avec des pièces chinées. La maison ouvrira en janvier je pense.
Si vous aviez carte blanche, qu’aimeriez-vous concevoir ?
Laura Gonzalez : Un hôpital peut-être, car j’y amènerais quelque chose de vraiment différent. Il y a tellement à faire dans ce domaine…
Photos: DR
Retrouvez l’article complet dans notre Artravel n°88 : Été Indien
Disponible sur notre boutique– 12 € (frais de port compris)