L’expression libre de Toma-L
Dans un paysage urbain, un gigantesque château de cartes. On distingue des figures peintes que, par analogie, l’on associe mentalement. Pourtant quelque chose échappe, quelque chose qui est de l’ordre d’une liberté absolue. Cet affranchissement, c’est le sacerdoce de Toma-L, artiste absolument.
Pour engendrer une telle énergie dans un cadre aussi vaste, on conçoit aisément qu’il y ait à l’origine une nécessité absolue, une question de survie. Thomas Labarthe, alias Toma-L, a traversé l’adolescence avec douleur souvent. Etudiant en arts graphiques, puis directeur artistique dans une agence de communication à Paris, il avance mais quelque chose bouillonne qui ne parvient pas à naître. C’est lors d’une rétrospective Dubuffet à Beaubourg que le choc matriciel se produit. L’art s’impose : remède, exutoire, raison de respirer et d’être au Monde.
Que devez-vous à Dubuffet ? Toma-L : Parfois je pense que si Dubuffet a peint, il l’a au moins fait pour moi. Bien sûr, c’est à considérer avec humour, mais tout de même… Cette exposition m’a bouleversé, et je voulais comprendre pourquoi, et comment. A cette époque j’étais assez perturbé psychologiquement. La découverte de Dubuffet, mes fréquentes visites à la Halle Saint Pierre (musée consacré à l’art brut, au pied de la butte Montmartre) m’ont sorti de mon isolement. Mes yeux se sont ouverts sur quelque chose qui pouvait me permettre de tisser un lien avec le monde.
Que vous a apporté la collaboration avec l’ancien danseur étoile des Ballets de Monte-Carlo, Jean- Charles Gil ? Toma-L : Ensemble, nous avons travaillé sur la proprioception, ce lien entre le corps et l’esprit qui bâtit notre singularité, qui fait que, même de dos, on peut reconnaître quelqu’un. Jean-Charles porte un regard de danseur sur la perte de précision des gestes que l’avancée dans l’âge induit. Souvent, les personnes âgées dansent à contretemps. J’adore cela, les gens qui dansent mal, les gens qui chantent faux. C’est un interstice qui s’ouvre sur un monde parallèle. Quelque chose qui a à voir avec une certaine authenticité. Autre chose peut alors émerger, parce que le corps n’est plus sous contrôle.
Que pouvez-vous nous livrer de votre processus de création ? Toma-L : Il est le reflet de ma personnalité. Je peux tourner autour du pot pendant longtemps, me trouver des prétextes pour ne pas y aller (cela fait quinze jours que je vais à l’atelier et que je n’ai pas touché un pinceau). Je me mets dans un état de manque. Dans ma tête jaillissent des formes, des sensations, que je traduis par des couleurs. C’est abstrait. Les choses vont se mettre en place gentiment. Je construis physiquement ce qui va servir à la réalisation de la toile. Une fois que je me sens libéré, alors ça peut sortir. En dix minutes ou en trois semaines !
Depuis quelques temps, vous produisez des lithographies… Toma-L : Je me suis formé parce que c’est une démarche très technique, très sensuelle aussi dans laquelle le temps n’est plus le même. On conserve la dextérité du dessin et de la peinture, mais le rapport à l’objet est différent : l’original disparait, il n’en reste que des traces sous forme de lithographie.
Vous vivez à Nantes. Vous étiez auparavant à Marseille. Quelle relation entretenez-vous avec les villes portuaires, avec la mer ? Toma-L : La mer, c’est un état d’esprit, c’est une frontière ouverte, des horizons qui changent et qui appartiennent à tout le monde. Mais je préfère la montagne, plus tourmentée, plus contrastée, pleine de déliés, de matières. La mer est plus mélancolique.
Après plus de dix-sept ans de pratique, l’art est-il toujours pour vous cet appui du début ? Toma-L : Tout me traverse toujours, mais je ne suis plus en danger comme je l’étais à 20 ans. Aujourd’hui, je me protège un peu plus. Avec la maturité, si vous touchez à mon travail, si vous le critiquez, cela ne m’atteint plus. Il existe dorénavant une constance dans la perception d’un univers qui est le mien et en lien avec le réel. Je vous propose un support sur lequel peut s’établir un dialogue. Je n’ai pas laissé les autres parler à ma place. Si elle n’est plus un remède, la peinture demeure mon bouclier. Je ne lâcherai jamais, sinon je tombe.
Toma-L avait-il le choix ? Probablement pas. À l’instar de ces illustres ainés qu’il aime évoquer tels Miró ou encore Baselitz, la chose s’est imposée à lui comme l’unique manière de pouvoir naître, être. Cette nécessité habite, traverse son œuvre, franche et libérée. Il réussit ce pari si difficile de la métamorphose permanente, sans jamais rien abandonner de lui-même.
Photos : © Jeremy Herman